De la bergerie à l’atelier : renaissance de la laine Corse.

Chapitre 1 – La récolte de la laine

Le 1er juin, j’ai participé à un moment ancestral et vivant : la tonte des brebis lors de la tundera.
Cette journée s’est déroulée à la Pasturella Santa Severa.

J’ai été accueillie par Anastasia, dans une ambiance joviale et généreuse, rythmée par les rires, les gestes sûrs des bergers et la chaleur du début d’été.

C’est là que j’ai aussi fait la connaissance de Jean-François, lui aussi de Santa Severa, qui élève des brebis croisées mérinos. Dans un bel élan de gentillesse, il m’a proposé de récupérer leur tonte également — un geste que je n’oublierai pas. Si la laine de nos brebis Corse est réputée pour être rêche et piquante, ce n’est pas le cas de la laine mérinos, je peux alors envisager des mélanges.

En choisissant de collecter cette laine locale, brute, souvent oubliée ou jetée, je m’engage à la valoriser de mes mains, à lui redonner une forme, une histoire, une douceur nouvelle. Ou du moins a tout mettre en oeuvre pour y parvenir.

Chapitre 2 – Retour à la maison

Sélection de la laine

Une fois la laine collectée, je rentre à la maison les bras chargés… et les idées en ébullition.

Mais avant de rêver douceur et créations, il faut se confronter à la matière dans toute sa vérité.

J’avais déjà pré-trié les couleurs en prévoyant deux sacs le jour de la tonte : un pour les toisons blanches et crèmes, un peu les toisons chocolat et noires. Je les classe avec soin, car je veux travailler la laine sans teinture, en respectant ses teintes naturelles.
Je commence par un tri minutieux : je sépare la laine exploitable de celle trop sale, trop emmêlée ou rêche, que je mets de côté. Certaines parties sont franchement impossibles à sauver — trop souillées ou pleines de résidus de pâturage — mais c’est aussi ce qui rend le reste encore plus précieux.

Le bain :

Le nettoyage est un moment presque alchimique. Je fais tremper la laine dans une grande bassine pour un premier bain à l’eau froide, avec du savon noir, un peu de vinaigre blanc et beaucoup de patience.
J’ai choisi l’eau froide pour une raison bien précise : j’ai le projet d’installer à l’avenir des bacs de récupération d’eau de pluie, et je veux dès maintenant m’habituer aux conditions simples et durables qui accompagneront mon projet si celui-ci prend racine.

Après ce premier bain, j’effectue un second trempage, sans savon, mais avec un mélange d’huiles essentielles aux vertus purifiantes et traitantes :
– Immortelle (pour son parfum et son lien à la terre corse…),
– Tea tree, citronnelle, lavande et clou de girofle (pour éloigner les insectes, purifier naturellement, et offrir une odeur délicate à la laine).
C’est une manière douce et sensorielle de soigner la matière, tout en respectant sa nature.

Enfin, un dernier rinçage à l’eau claire termine le processus.
Je garde cette eau de rinçage, que je réutilise ensuite comme eau de premier bain pour la prochaine laine. Rien ne se perd — tout se transmet.

Séchage au soleil :

La laine lavée est ensuite déposée sur des grillages surélevés, installés dans mon jardin. Là, sous le soleil, elle sèche lentement, bercée par le vent.
En fin de journée, je la rentre et la laisse finir de sécher à l’intérieur, dans un filet suspendu qui la garde à l’abri et la laisse respirer.

Ce processus est lent, artisanal, et presque méditatif. C’est dans cette attention portée à chaque geste que se tisse la suite de mon travail.

Séchoir très artisanal - grillage posé légèrement surélevé


Chapitre 3 – Le cardage

Après le tri, le lavage, le séchage... vient l’étape du cardage, aussi délicate que décisive.

Pour cela, j’utilise des vieilles cardes manuelles : deux grandes brosses à l’ancienne, trouvées sur Leboncoin.
Quand j’ai demandé au vendeur si elles pouvaient encore servir, il m’a regardée comme une extraterrestre :

« Vous voulez vraiment faire ça à la main ? Avec ça ? Mais c’est pour la déco, madame ! »
J’ai ri — un peu gênée, un peu fière — parce que oui, c’est exactement ce que je voulais.

Cardes manuelles

Bien que j’aurai apprécié trouver une cardeuse à tambour à prix accessible, cette contrainte est devenue une opportunité : celle de me reconnecter à un geste ancestral, humble et puissant à la fois.

Ces cardes manuelles, tant de femmes les ont utilisées avant moi, dans l’ombre, à la maison, pour vêtir leur famille.
Et quand mes bras commencent à fatiguer, je pense à elles — et à toutes les fibres qu’elles ont démêlées, des siècles durant.

Carder la laine, ca prend un temps fou. C’est long, minutieux, parfois franchement décourageant.
Mais peu à peu, les fibres s’aèrent, se lissent, s’alignent. La laine devient souple, nuageuse...

Chaque poignée que je carde contient une histoire : celle du mouton, du lieu, de la tonte, et de mes mains.
Et dans ce rythme lent, dans ce frottement répétitif, il y a quelque chose de méditatif, de réparateur, presque de sacré.





Rendez-vous bientôt pour un chapitre création….